À l’heure où nous vivons dans un environnement qui évolue en permanence et de plus en plus rapidement, “le rythme auquel les organisations apprennent pourrait devenir la seule source durable d’avantages concurrentiels”. C’est ce qu’affirmait en 1990 Peter Senge, l’homme qui a synthétisé et popularisé le concept d’entreprise apprenante.
Comment être une organisation apprenante ?
Force est de constater que cette citation de 1990 n’a jamais été aussi pertinente que maintenant : avec des politiques mondiales parfois déstabilisantes, des incertitudes liées au dérèglement climatique, le développement fracassant de l’IA dans notre quotidien, la remise en question permanente de nos acquis et de nos connaissances dans les domaines techniques et sociétaux, notre effort d’adaptation est mis à l’épreuve.
Alors comment éviter de subir et accompagner ce mouvement en évitant de trop grandes ruptures ?
L’organisation apprenante peut y contribuer en nous aidant à évoluer ensemble tel un organisme vivant, répondant ainsi à la définition de l’intelligence, à savoir, la capacité à s’adapter en permanence.
Image créée avec l’intelligence artificielle
Une organisation apprenante, qu’est-ce que c’est ?
Définition de l’organisation apprenante
L’organisation apprenante peut être définie comme une organisation centrée sur l’amélioration continue des capacités d’apprentissage de ses collaborateurs. Dans un monde idéal, cette organisation, qu’elle soit une entreprise privée, publique, ou une association, nous donne à tous la possibilité d’apprendre et d’évoluer tout le temps.
N’est-ce pas le vœu de toute DRH et de tout comité directeur d’avoir des équipes qui apprennent individuellement et collectivement en partageant leurs connaissances et en résolvant les problèmes de manière collaborative ? N’est-ce pas non plus le vœu de tout individu d’apprendre sans se sentir dépassé, de voir différentes choses au cours de sa carrière et de pouvoir compter sur ses collègues comme ils peuvent compter sur lui ?
On peut légitimement le penser, mais si l’organisation apprenante n’est pas la norme dans tous les domaines d’activité, c’est qu’il y a des conditions à réunir et quelques obstacles à franchir.
Avant de détailler ces points, un bref retour sur l’histoire de l’entreprise apprenante.
Les origines de l’organisation apprenante
Si certains considèrent que le concept d’organisation apprenante est né aux Etats-Unis dans les années 80, ses origines sont en réalité plus complexes, empruntant des champs disciplinaires et théoriques variés comme les ressources humaines, la philosophie, la sociologie des organisations ou le management stratégique.
En effet, dès les années 1950, Herbert Simon et James G. March ont transposé la notion d’apprentissage au domaine de l’organisation. Richard Cyert, John Dewey, Gregory Bateson, Margaret Mead, Chris Agyris, Donald Schön, Kurt Lewin, Carter McNamara… tous ont apporté leur pierre à l’édifice en développant les notions de l’interaction dans l’apprentissage, la productivité dans le collectif, la capacité à bousculer les présupposés pour ne citer que quelques points.
Peter Senge, professeur au MIT et spécialiste en management, a quant à lui écrit le livre fondateur de l’organisation apprenante, La Cinquième Discipline, tiré notamment de sa recherche initiée par le groupe pétrolier Shell. Bouleversé par les mutations auxquelles il était confronté, le groupe voulait définir son “Organisation du futur” en revoyant sa stratégie et son système de management.
Senge a ainsi identifié 5 principes pour rendre l’apprentissage organisationnel différent de l’apprentissage traditionnel.
Les principes fondamentaux d’une organisation apprenante
Selon Senge, l’organisation qui veut devenir apprenante et soutenir ainsi une dynamique d’apprentissage continu et en équipe, doit s’appuyer sur les disciplines suivantes :
- La maîtrise personnelle pour mieux appréhender la réalité
- La construction d’une vision partagée
- Les modèles mentaux pour se défaire de nos préjugés
- L’apprentissage en équipe.
Lorsque ces 4 disciplines se combinent dans une organisation, apparaît selon Senge la cinquième discipline : la pensée systémique.
La pensée systémique permet de ne plus voir le monde comme des systèmes indépendants mais de manière globale et transversale. Un système d’apprentissage et de coopération peut alors voir le jour en permettant à toutes les parties d’un système de contribuer et de s’adapter dans un monde dynamique.
Pour résoudre un problème, mettre sur le marché un nouveau produit ou service, revoir un process ou une organisation, il faut analyser son environnement et agir grâce à des capacités d’apprentissage – cœur du modèle de Senge – développées aussi bien au niveau individuel que collectif.
L’organisation apprenante, considérée comme un écosystème, facilite ainsi l’apprentissage et l’intelligence collective, permet une transformation constante en s’adaptant aux défis de son environnement.
Pourquoi agir en entreprise apprenante ?
Pour répondre aux « nouvelles » attentes et valeurs des salariés
On l’a compris, l’organisation apprenante permet aux salariés d’une entreprise d’évoluer avec elle et pour elle, et inversement.
C’est l’opposé des modèles Tayloristes ou Fordistes qui s’appuient sur une division horizontale (salaire au rendement et travail à la chaîne) et verticale du travail (travail intellectuel dans les bureaux d’étude et distinction entre exécutants et concepteurs).
Si ces modèles existent toujours dans certains secteurs et territoires, ils n’ont plus la cote dans un marché du travail où les aspirations des jeunes – et des moins jeunes – sont portées sur la reconnaissance, la coopération, l’évolution et celle des dirigeants sur l’engagement, la flexibilité et l’initiative.
7 salariés sur 10 estiment que l’apprentissage renforce leur connexion avec l’entreprise (selon le rapport « LinkedIn Workplace Learning Report 2024 »). Ce processus de learning développement est de plus en plus recherché par les collaborateurs qui sont sensibles à une culture de l’apprentissage permettant de développer leurs connaissances et leur employabilité.
L’enquête récente de Job Maker montre qu’outre la qualité de leur management (53%), 46% expriment comme motivation essentielle les perspectives d’évolution ainsi que la reconnaissance de leurs compétences et de leur valeur.
Comment dès lors attendre d’un collaborateur qu’il s’engage, fasse preuve d’initiative et développe ses compétences ?
Pour innover, gagner en efficacité et garantir le bien-être au travail
Du côté des entreprises, la prise de conscience des bénéfices d’une entreprise apprenante est réelle. D’après l’étude de MyRHline et Noous, 65% des structures interrogées considèrent la notion d’entreprise apprenante comme un véritable levier stratégique dans le développement des compétences (67%), la marque employeur (46%), la rétention des talents (33%).
L’étude Leading by Learning de Bersin by Deloitte montre les avantages que retirent les entreprises apprenantes. Celles-ci seraient :
- 92 % plus à même d’innover
- 37 % plus productives
- 58% mieux préparées à répondre aux demandes futures en matière de compétences
- 34% plus à même de répondre aux besoins des clients
- 26% plus susceptibles de proposer des produits de qualité.
Il semble y avoir ainsi un lien certain entre organisation apprenante et efficacité.
Quand on rajoute dans la balance les enjeux d’aujourd’hui auxquels sont confrontées la majorité de nos entreprises à savoir :
- Développer sa marque employeur en intégrant une culture forte,
- Attirer les talents,
- Les retenir,
- Développer les compétences (et l’employabilité) des collaborateurs,
- Renforcer leur engagement pour répondre aux besoins du marché,
Nul doute que l’entreprise apprenante a son rôle à jouer pour faire la différence.
En effet, dans une culture d’apprentissage qui est un pilier de l’organisation apprenante, les collaborateurs apprennent et partagent leurs connaissances, contribuant ainsi au succès de l’entreprise. L’apprentissage individuel nourrissant l’apprentissage collectif et vice-versa, l’organisation apprenante permet de répondre, outre aux enjeux cités plus haut, à :
- L’amélioration de l’adaptabilité et de l’agilité des collaborateurs pour faire face à l’évolution de leur environnement
- Un renforcement de l’efficacité du fait de la montée en connaissances et en compétences mises en œuvre
- Davantage d’innovation par l’engagement, la technicité et la confiance partagée
- Le développement du bien-être au travail et tout ce que cela implique (fidélisation, communication, présentéisme, adhésion à une culture forte etc.).
Un monde idéal ? Ou sans doute. Mais comment faire ? Est-il facile de mettre en place une organisation apprenante ?
Comment mettre en place une réelle organisation apprenante ?
Si l’on en revient à la définition de l’entreprise apprenante, il s’agit “simplement” d’une structure dans laquelle tous les membres apprennent les uns des autres (learning process). Cette communication transversale permet l’émergence du vivant qu’il soit innovation, intelligence collective ou adaptation permanente à l’environnement.
Ceci posé, quelques étapes s’imposent :
#1. S’assurer évidemment que le Codir supporte le projet.
#2. S’assurer ensuite que la vision stratégique est clairement définie, communiquée et comprise à tous niveaux.
#3. Engager une transformation managériale plus ou moins marquée qui bouscule la notion de hiérarchie.
Management de proximité, participation des salariés aux processus décisionnels, transformation des pratiques managériales en postures de soutien et collaboratives… Certains hiérarchiques auront besoin de support pour évoluer en ce sens.
#4. Décloisonner pour faciliter l’apprentissage et le partage des connaissances.
Finis les objectifs verticaux et la culture en silo. Vive la responsabilité collective et la collaboration pour attendre des objectifs communs.
#5. Intégrer une culture d’apprentissage permanente : se former dépasse de beaucoup le fait d’aller en formation ou de suivre un module sur un thème spécifique.
C’est ce que montre l’indémodable modèle d’apprentissage 70/20/10 développé dans les années 80 par Morgan McCall, Robert W. Eichinger et Michael Lombardo. Selon l’étude, les compétences s’acquièrent jusqu’à 70% par l’apprentissage sur le terrain (processus d’apprentissage sur le tas) ; 20% grâce aux modèles et aux échanges avec des collègues, des supérieurs et des mentors (apprendre des autres personnes) ; et 10% grâce à la formation continue traditionnelle (sessions, LMS, blended learning etc.).
Dans l’organisation apprenante, l’apprentissage est commun et la production de connaissance est partagée. À noter : l’erreur, la prise de recul et les remises en question deviennent source de progression. On a le droit d’expérimenter et d’échouer, quitte à prendre des risques.
#6. Identifier et valoriser les compétences existantes et attendues.
Il est également nécessaire d’établir une cartographie des compétences actuelles, mais aussi des compétences attendues pour le futur et mettre en place des plans d’action pour réduire le gap entre les deux situations. C’est parfois là que l’impasse se fait, par manque de temps, de ressources ou de savoir-faire. En effet, en France, moins de 40% des entreprises dispose à l’heure actuelle d’une cartographie des compétences des collaborateurs, ce qui, sans parler de la nécessité de définir les compétences visées, limite la capacité de l’entreprise à les valoriser et à les développer.
L’auto-évaluation (ou auto-positionnement) des compétences par les collaborateurs est une démarche intéressante pour arriver à cette cartographie. La diversité des profils au sein d’une équipe permet également d’enrichir cette cartographie.
#7. Ne pas se contenter des ressources internes.
Travailler en réseau, rechercher de l’information et des connaissances à l’extérieur de votre organisation est important. En consacrant un peu de temps à la veille, votre curiosité vous permettra d’innover… et pourquoi pas de vous rassurer sur vos pratiques.
Vous êtes lancés ? Vous n’êtes pas les seuls. Voici quelques organisations que l’on peut citer en tant qu’entreprises apprenantes.
Quelques illustrations d’entreprises apprenantes
Google, Netflix, Tesla, Vinci, Air France… toutes revendiquent leur label d’entreprise apprenante.
“Demain, tout le monde devra apprendre en permanence sur son poste de travail en mêlant à la fois activité et apprentissage.” (Vinci).
“Grandir ensemble : chaque collaborateur, qu’importe son niveau hiérarchique, dispose d’une liberté pour expérimenter, s’exprimer, se former et évoluer.” (Leroy Merlin)
“L’organisation apprenante favorise le partage des connaissances, développe l’apprentissage au travail, capitalise le retour d’expérience. La stratégie du Campus Air France repose sur ce modèle.” (Air France)
Et il est vrai que les entreprises apprenantes ont expérimenté des outils variés :
- Le développement des MOOC’s en autonomie par des experts de l’entreprise qui partagent leurs connaissances,
- L’indentification de salariés référents dans un domaine qui acceptent d’être sollicités à tout moment par un collègue pour aider à la résolution de problématiques rencontrées dans l’entreprise,
- La systématisation du feedback pour faciliter le codéveloppement. Les retours d’expériences et les bonnes pratiques permettent ainsi développer les compétences et de diffuser une culture commune,
- La création, l’animation et la valorisation de formateurs internes,
- Le recours à l’IA pour automatiser les tâches administratives, liées à la gestion de la formation, guider les apprenants grâce aux chatbots, mettre en place des KPI’s d’indicateurs de performance,
- L’apprentissage par la mise en situation de travail (AFEST),
- La mise en place d’un LMS accompagné d’un suivi individualisé des besoins de partage d’expériences,
- Etc.
Les champs d’expérimentation et les intérêts d’une organisation apprenante sont ainsi nombreux. Quels peuvent être donc les freins à sa mise en place ?
Quelques obstacles au succès d’une organisation apprenante
On peut lister 5 obstacles principaux au succès d’une organisation apprenante.
- La résistance au changement : comme toute transformation, la peur de l’inconnu et de l’échec peut freiner l’adoption de nouvelles pratiques et des nouveaux processus.
- Le défaut d’engagement de l’équipe dirigeante : une structure trop rigide, traditionnelle, organisée en silos et/ou une hiérarchie trop centralisatrice, qui freine les initiatives pour faire évoluer sa culture peut également compromettre le projet.
- Le manque de vision : sans vision partagée – ou si la vision est erronée – et sans objectifs communiqués et compris, la route risque d’être longue et épuisante.
- Le manque de temps et de ressources : ne pas laisser de temps aux équipes pour se former, expérimenter – voire échouer- et échanger entre elles est un risque. L’absence de plateformes de partage de connaissance et de formation et le manque d’investissement en ce sens contribue également aux difficultés rencontrées.
- L’absence de reconnaissance des compétences, du partage des connaissances et de l’incitation à le faire : la valorisation et la reconnaissance (récompense, promotion…) sont essentielles pour la pérennité du système.
Comme on peut le voir, les obstacles se dessinent en creux des conditions pour mettre en place une organisation apprenante. Reste une difficulté qui n’est pas des moindres…
Comment mesurer l’efficacité d’une organisation apprenante ?
Mettre en place une organisation apprenante répond toujours à des objectifs. Exprimés de manière SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Révisables et dans les Temps), toute entreprise pourra mesurer l’avant et l’après.
Que les indicateurs soient liés aux Ressources Humaines (exemples : délai de recrutement, turn-over, notoriété, enquêtes de satisfaction RH etc.), à l’innovation (brevets, temps de mise sur le marché etc.), aux marchés (progression du CA, rentabilité, satisfaction clients etc.), économiques ou autres, le choix de passer à une organisation apprenante répond à des objectifs fixés dont on peut voir le résultat.
Pour les aspects proprement liés à la partie “apprenante” de l’organisation, différents indicateurs existent :
- L’évaluation immédiate qui correspond au niveau de satisfaction de suivre telle formation ou tel apprentissage, de vérifier qu’il correspond au programme, que le rythme, les supports, l’animation etc. sont appréciés. Associée à une évaluation des acquis souvent sous forme de QCM, elle est complétée par des mesures collectives comme le pourcentage de personnes ayant été formées par rapport à la cible initiale, le pourcentage d’abandons, le temps passé etc.
- Les indicateurs orientés à plus moyen terme sont également nécessaires : la mise en pratique ou non des acquis, le développement des compétences estimé par le collaborateur mais aussi par le manager ou toute personne à même de procéder à cette valuation de manière objective ;
- Au-delà des certifications, diplômes et tests qui sont impératifs pour certaines activités, l’auto-évaluation entre le début et la fin du programme sont également des outils précieux.
- Enfin, en matière de collaboration, des indicateurs sur les créations de contenus, les mises à jour de ces contenus par les collaborateurs, le nombre de groupes de travail, le pourcentage de problèmes résolus, le nombre de propositions d’améliorations etc. peuvent compléter les mesures d’efficacité de manière quantitative et qualitative.
Dans les formations du Gymnase du Management
Nous avons à cœur de soutenir l’essor de l’entreprise apprenante car elle répond selon nous aux besoins de développement rapide et qualitatif des entreprises et des individus. Dans chacune de nos formations, nous privilégions :
- Le partage de visions et de pratiques inter métiers
- Le transfert de savoirs entre les participants
- Le travail sur les schémas mentaux pour favoriser l’apprentissage les uns des autres.
Nous proposons également une formation managériale « Développer la transversalité ». Elle conduit les apprenants à :
- Comprendre le concept de transversalité et son impact sur la performance, la qualité des projets et sur l’ambiance de travail, le développement de chacun
- Identifier les principaux freins à la transversalité dans l’entreprise
- Acquérir des méthodes et réflexes de management, de communication, pour amener l’équipe et chaque collaborateur à fonctionner en mode transversal, collaboratif
- Insuffler une culture « entreprise apprenante ».
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