Résoudre les problèmes par le paradoxe selon le modèle de Palo Alto

Le modèle Palo Alto, ou approche systémique, est une technique de communication pour résoudre les problèmes par le paradoxe. Voyons de quoi il s’agit avec quelques exemples en entreprise.

Management et résolution de problèmes : pensez à l’approche paradoxale (ou modèle de Palo Alto) !

Face à des problèmes récurrents, particulièrement dans le contexte des relations interpersonnelles, mais aussi dans le management ou la conduite du changement, notre réflexe habituel est de persévérer dans nos tentatives de solutions.

Et force est de constater que ce n’est pas toujours une bonne idée 😊.

Les travaux des chercheurs de l’Ecole de Palo Alto, en Californie, dans les années 60, nous enseignent que cette persévérance peut justement devenir le problème et produire une situation inextricable. Voyons de quoi il s’agit !

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L’école Palo Alto et l’approche paradoxale

Origines et principe du modèle Palo Alto

L’école de Palo Alto, autour de sa figure centrale, l’anthropologue Gregory Bateson (1904-1980), et d’experts pluridisciplinaires a donné naissance à un modèle novateur de résolution des problèmes humains. Un modèle centré sur les interactions entre individus plutôt que sur la nature intrinsèque de chaque individu : le modèle de Palo Alto.

Ce modèle, sa vision des relations humaines et de la communication, bouleverse les approches psychiatriques de l’époque et contribue au développement de la thérapie familiale, fondée sur cette conception interactionniste : on ne cherche pas qui est responsable du dysfonctionnement dans la famille mais on s’intéresse aux relations entre ses membres, au contexte global dans lequel elle évolue.

Pour étudier et formaliser les implications thérapeutiques de ces découvertes, Don Jackson fonde, en 1959, le Mental Research Institute (MRI) à Palo Alto. Paul Watzlawick, puis Richard Fisch, Jay Haley et Jonh Weakland le rejoignent et poursuivent les travaux du groupe Bateson.

Dans cette logique pragmatique, d’abord appliquée au domaine de la thérapie, on ne cherche donc pas la personne coupable, on ne pose pas d’étiquette ni de jugement, mais on s’intéresse à la dynamique relationnelle établie. Comme on le verra plus loin, il s’agit d’une approche systémique et stratégique pour favoriser le changement.

Dans la vie professionnelle, plutôt que de blâmer l’autre en disant, par exemple, « il est rigide, il ne veut pas changer, il résiste à ce qui est nouveau », on s’interroge sur la manière dont le contexte, notre position dans l’interaction et nos tentatives de solution contribuent à maintenir, voire à aggraver le problème.

Ainsi, la célèbre formule « le problème, c’est la solution » de Paul Watzlawick prend tout son sens. Elle invite à remettre en question nos actions entreprises inlassablement pour résoudre le problème car elles peuvent, en réalité, le perpétuer.

Intervient alors, dans cette compréhension interactionniste des problèmes humains, les techniques paradoxales. Car le paradoxe est plein de ressources 😊

Paul Watzlawick a beaucoup apporté au modèle en travaillant sur l’arrêt des tentatives de solutions : comment amener l’individu à cesser de faire ce qui ne marche pas ? Et bien en lui donnant des tâches paradoxales afin qu’il expérimente de nouvelles façons de réagir. Pas n’importe quelles tâches bien sûr. Des tâches compatibles avec sa vision du monde, ses objectifs.

Ainsi, au patient qui se plaint de troubles du sommeil et cherche chaque jour à se rendormir le plus vite possible quand il se réveille en pleine nuit, il sera par exemple demandé, dans un premier temps, de ne plus chercher à se rendormir. Un plan d’action individualisé sera établi pour retarder au maximum le moment d’un éventuel rendormissement.

On demande à l’individu de faire l’inverse de ce qu’il fait d’habitude. Le paradoxe est au service de l’intervention stratégique.

Exemple de mise en application du modèle Palo Alto

Après la théorie, voici un exemple pour mieux comprendre cette approche par le paradoxe.

Restons sur l’exemple « il ne veut pas changer » et appelons Paul ce soi-disant réfractaire au changement.

Probablement que, pour l’amener à changer, je ne cesse d’argumenter, espérant, à un moment donné, le convaincre. Or, plus j’argumente, moins il change. Et c’est normal, il connaît déjà mes arguments qui n’ont aucun effet sur lui et un jeu relationnel s’installe entre nous, chacun campant sur sa position et sa routine de réponses !

Le modèle de Palo Alto et son intervention paradoxale nous suggère alors de mettre fin à nos tentatives d’argumentation. Ça paraît simple mais ce n’est qu’une illusion. 😊

En effet, que faire à la place ? Puis-je renoncer à ce que Paul change ? S’il s’agit par exemple d’appliquer un nouveau process, d’utiliser un nouvel outil… puis-je me dire « tant pis pour lui ! » ? Puis-je faire abstraction du principe d’équité au sein de l’équipe ? Adopter un management à double niveau ? A priori non !

Mais je peux envisager une solution paradoxale, qui ira à l’encontre de mes tentatives de solution : remplacer l’argumentation par un échange ouvert dans lequel je ne chercherai plus à convaincre.

Cela pourrait donner : sur un ton posé et compréhensif, « je comprends donc que tu ne vas pas appliquer ce process et ça m’embête. Je crains que tu te mettes en difficulté. Partages-tu mon inquiétude ? ».

Peut-être laissera-t-on un peu de temps à Paul pour réfléchir.

Avec cette intervention, on rompt, avec tact, le cercle vicieux :

j’argumente ➔ tu résistes ➔ j’argumente de plus belle ➔ tu résistes fermement

devient

je t’alerte ➔ tu te positionnes.

Vous vous dites « mais Paul va répondre que ça ne l’inquiète pas du tout » !

Peut-être… mais pas sûr ! Dire vaguement « pas pour moi » et refuser clairement n’engagent pas la personne de la même façon. Avec une intervention comme celle-ci, qui ne s’appuie plus sur la contrainte, sur l’ordre, Paul sort du mode réaction automatique dans lequel notre interaction l’avait installé.

Il y a fort à parier que nous serons surpris de sa réponse 😊.

L’approche systémique et le modèle de Palo Alto

L’approche systémique joue un rôle essentiel dans le modèle de Palo Alto, en acceptant la la complexité des interactions humaines.

Gregory Bateson a eu une influence déterminante dans le développement de la vision systémique des situations humaines. « Il ne s’est pas demandé pourquoi cette personne-ci se comporte de manière folle. Il s’est demandé dans quel système humain, dans quel contexte humain, ce comportement peut faire du sens. » (Elkaïm, 1995, p. 161).

Dans la logique systémique, on reconnaît que les individus ne fonctionnent pas de manière isolée, mais sont interconnectés au sein d’un système plus vaste. On n’est plus dans une compréhension binaire (émetteur-récepteur) de la communication.

La résolution de problèmes devient plus globale, plus stratégique. Elle invite à considérer les interactions entre les parties concernées.

Dans l’exemple cité plus haut, je ne m’attache pas à la seule personne de Paul mais je nous considère, tous les deux, dans une relation qui produit et renforce nos façons de réagir. Ce n’est pas lui, ce n’est pas moi mais notre interaction bien particulière, dans ce contexte donné.

L’importance du contexte

Dans l’approche systémique, le contexte revêt une importance primordiale. Les individus et les systèmes sont considérés comme interdépendants, influencés par leur environnement et leur contexte.

Le contexte définit les conditions et les contraintes dans lesquelles ces interactions se produisent.

Imaginons Tania et Jules, deux collègues qui, ne s’entendant pas, en sont arrivés à ne plus se parler. Le niveau de discorde est tel qu’il devient impossible de leur confier un projet commun. Ils font partie d’une équipe de 15 personnes encadrée par Quentin. Le contexte de travail est marqué par une très forte charge, une pression sur les délais, une culture de l’immédiateté.

Plaçons Tania et Jules dans un autre contexte. Ils ont changé de département et appartiennent maintenant à l’équipe de Sophie, constituée de 6 personnes. Le rythme de travail est soutenu mais les délais plus faciles à tenir et la culture du département accorde plus de place au temps de réflexion.

Et bien Tania et Jules ne sont toujours pas les meilleurs amis du monde mais ils travaillent en bonne intelligence, sans tension. Cela peut paraître étonnant car leur personnalité n’a pas changé ! Seul le contexte est différent. Et l’on pourrait aussi imaginer ce même effet « bonne entente » en ne changeant qu’un seul élément du système comme la taille de l’équipe, la relation au manager ou bien le niveau de charge de travail.

Le poids de la communication

Paul Watzlawick souligne le rôle crucial de la communication dans nos existences et dans la vie sociale. Selon lui, dès notre naissance, nous sommes immergés dans un processus constant d’apprentissage des règles de communication, souvent sans même en avoir conscience. Nous acquérons progressivement les compétences nécessaires pour exprimer nos pensées de manière verbale et non verbale, ainsi que pour naviguer à travers les différentes formes de communication présentes dans notre quotidien. Ce processus semble si naturel que nous le prenons souvent pour acquis, sans appréhender toute sa complexité.

La communication est le fondement même du progrès et de l’évolution humaine. Sans elle, notre société n’aurait pu se développer aussi rapidement ni aussi efficacement. La communication nous permet de partager des idées, d’échanger des émotions, de résoudre des conflits et de collaborer pour atteindre des objectifs communs. Ainsi, bien que nous ne soyons pas toujours conscients de son importance, la communication façonne profondément nos interactions sociales, notre perception du monde et notre évolution en tant qu’individus et en tant que société.

Paul Watzlawick affirme aussi : « On ne peut pas ne pas communiquer ». C’est l’un des axiomes fondamentaux de sa théorie de la communication, dans laquelle il met en évidence le fait que toute conduite, même si elle semble non communicative, peut être interprétée comme une forme de communication.

Ainsi, ne pas s’exprimer, ne pas regarder etc. sont aussi des façons de communiquer.

Dans le résolution de problèmes, cette vision du rôle de la communication et de ses troubles nous invite sans cesse à questionner notre propre façon de parler (ou de ne pas parler), d’entrer en relation avec l’autre.

Le modèle de Palo Alto en entreprise

Au fil des années, le modèle de Palo Alto – ou approche systémique de Palo Alto – a trouvé des applications concrètes dans le monde du travail.

Un premier exemple

Voici un exemple au sein d’une usine confrontée à une augmentation constante du taux d’accidents du travail, ce malgré des mesures préventives et des sanctions mises en place : les anciens travailleurs, fiers de leur métier à risque, refusent d’adopter de nouvelles consignes de sécurité.

Intriguée par le modèle de Palo Alto, la direction de l’usine s’interroge. Plutôt que de persister dans des approches inefficaces, elle considère la situation comme un système et choisit une approche paradoxale.

Elle cesse alors d’imposer des règles et décide de miser sur la responsabilisation, en demandant aux anciens de jouer un rôle de tuteurs. Il s’agira pour eux de former les jeunes embauchés aux mesures de prévention.

Le but ?
Sortir de la logique habituelle ! On ne demande plus aux anciens d’appliquer les règles de sécurité mais de prévenir les accidents en les inculquant aux jeunes.

Et cette approche porte ses fruits, créant un changement positif dans la dynamique de l’usine. En effet, les jeunes opérateurs, n’ayant pas la même habileté que les anciens pour éviter les dangers, acceptent les pratiques sécuritaires enseignées. Car bien sûr, par souci d’exemplarité, les anciens se doivent de respecter les règles qu’ils enseignent 😊 ! On est sorti du cercle vicieux.

Cette histoire illustre comment choisir une approche paradoxale, allant à l’encontre de la logique conventionnelle, peut être la clé pour résoudre des problèmes apparemment insolubles. Bien que cela puisse sembler risqué, l’approche paradoxale offre souvent une alternative viable lorsque les solutions logiques traditionnelles échouent à produire les résultats escomptés.

En fin de compte, c’est peut-être en changeant notre manière de voir le problème que nous pouvons véritablement trouver des solutions innovantes et durables.

Un autre exemple de résolution de problème en management

Dorothée, lors d’une de nos formations management, se plaint de réunions « ennuyeuses » avec son équipe. Elle nous explique : « j’ai tout essayé pour rendre nos réunions participatives mais rien ne fonctionne. Mes collaborateurs s’expriment très peu, certains font autre chose pendant que leurs collègues prennent (pourtant rarement) la parole, personne ne prépare malgré mes demandes etc. ».

Après avoir pris connaissance de ses tentatives de solutions, nous comprenons que Dorothée est très moteur dans la tenue de ces réunions. C’est elle qui relance, appelle les retardataires, pose les questions pour susciter les échanges etc. Elle s’épuise, en vain, à faire participer, et n’observe aucun changement. On pourrait décrire grossièrement la situation de cette façon : « plus Dorothée veut, moins l’équipe veut ! ».

Prenant conscience de ce cercle vicieux, Dorothée a une idée ! 😊

Elle va annoncer tranquillement, sans aucune note de reproche ni de plainte, lors de la prochaine réunion, que, pour l’instant, elle met fin à ce rituel. « En effet, je vois bien que cette réunion ne répond pas à vos besoins. Nous perdons tous notre temps et c’est contrariant pour vous comme pour moi ». dira-t-elle sur un ton souriant.

Et alors ? Réaction de certains membres de l’équipe : « ah bon, mais on a quand-même besoin d’échanger ! ».

« Peut-être pas sous cette forme… » répond-t-elle sereinement.

Dans la semaine qui suit, plusieurs collaborateurs viennent exprimer leur étonnement face à cette décision saugrenue. C’est l’occasion de sonder leurs attentes.

Et comme Dorothée avait pris le soin d’annoncer la fin des réunions pour l’instant, elle peut proposer, quelques semaines plus tard, une réunion qui traitera, collectivement, les questions suivantes : « si nous décidons de nous réunir, dans quel but ? Sous quelle forme ? Qu’est-ce que chacun veut apporter ? Découvrir ?… ».

Là encore, le jeu relationnel a pris un nouveau tournant !

L’approche paradoxale a de nombreuses vertus dont celle de surprendre, de provoquer un sursaut. C’est ce pas de côté qui fait toute la différence avec l’approche « toujours plus de la même chose » !

Le modèle de Palo Alto dans nos formations management

L’approche systémique et paradoxale influence fortement tant notre approche pédagogique que nos apports de contenus, qu’il s’agisse de formation en présentiel ou digitale.

Dans plusieurs de nos modules e-learning, les courtes vidéos, qui mettent en situation un manager dans son environnement quotidien, illustrent la pratique du questionnement stratégique exploratoire, le re-cadrage du sens, la position basse qui, à elle seule, en management, relève parfois du paradoxe. 😊

En formation présentielle ou en classe virtuelle, nous amenons les apprenants à résoudre des problèmes entre pairs, notamment grâce au co-développement. Et, pratique inhabituelle mais très appréciée, nous sollicitons, dans l’étape d’idéation, la proposition de solutions paradoxales, à 180° des tentatives de solutions du client. Cela surprend toujours mais réveille des esprits assuré !

C’est une façon de s’approprier un nouveau mécanisme de pensée très utile dans la réalité complexe de l’entreprise !

Pour aller plus loin

 

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