Troubles du sommeil, anxiété, absentéisme, allongement des horaires… Beaucoup ont connu de près ou de loin des moments où ils avaient l’impression de ne pas pouvoir faire face. Est-ce pour autant une situation de surcharge de travail ? Comment la diagnostiquer ? Et à défaut de l’éviter, comment la gérer au mieux quand on est collaborateur, manager ou RH ?
Surcharge de travail : identifier, alerter, gérer quand on est collaborateur, manager ou RH
Image créée avec l’intelligence artificielle
Définir la surcharge de travail
Définition
Le Code du Travail ne mentionnant pas le terme de surcharge de travail, il y a un certain vide juridique.
On trouve certes une référence au nombre trop important d’heures supplémentaires, mais elle ne permet pas de couvrir les différentes situations de travail comme par exemple celle des cadres en forfait jours, selon laquelle “l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable” (l’article L3121-60).
On peut toutefois tenter de définir le concept de la surcharge de travail comme “la situation dans laquelle la charge de travail demandée à un salarié dépasse ses capacités physiques et mentales”.
La charge de travail pouvant être physique, psychique, cognitive, voire émotionnelle, on voit bien que son évaluation et sa régulation restent difficiles. D’autant que les capacités individuelles sont variables d’une personne à une autre et variables dans le temps pour une même personne. À noter que le contexte de travail lui-même joue un rôle dans cette surcharge (exemples : mauvaise organisation, délais trop serrés, fortes exigences managériales, outils de travail inadaptés etc.).
Le sujet est donc complexe, mais si l’on revient aux fondamentaux de la loi santé au travail de 2021 qui stipule que “chaque employeur a la responsabilité de fournir un environnement de travail sûr et sain à ses salariés et de veiller à prévenir la santé physique et mentale” et si l’on se réfère aux nombreuses jurisprudences en la matière, on arrive à globalement apprécier les cas de surcharge de travail.
Illustrations de cas vécus par un collaborateur, un manager et un DRH
La surcharge de travail peut concerner tout un chacun, quel que soit son statut ou niveau hiérarchique. Voici 3 témoignages aux points de vue différents.
Nathalie, 48 ans, collaboratrice : “Je n’arrive plus à dormir correctement. Mon cerveau mouline sans arrêt avec des clients, des dossiers et des chiffres et je me réveille en plein milieu de la nuit en panique. J’ai l’impression que c’est de pire en pire et je n’arrive plus à boucler mes dossiers à temps. Résultat : Je pars de plus en plus tard, rien n’y fait et ma famille râle. Mon binôme va partir en vacances et je ne vois pas comment gérer son absence sans péter un plomb”.
Medhi, 35 ans, Team leader : “Depuis quelque temps, j’ai un membre de mon équipe qui est très irritable. Il me dit que tout va bien mais il est en retard sur 2 de ses projets, n’accepte pas les suggestions que je lui fais pour l’aider et l’ambiance de l’équipe commence à en pâtir. Il devait s’occuper d’un nouveau projet mais il n’a même pas organisé la réunion de lancement ! Je ne sais pas pourquoi car il n’a pas plus de charge de travail que les autres”.
Paul-Victor, 52 ans, DRH : “Un manager me dit que des membres de son équipe sont allés voir les représentants du personnel pour se plaindre de leur charge de travail et de leur souffrance au travail. C’est vrai qu’en ce moment on est en manque d’effectifs car on a du mal à recruter du personnel qualifié et ça ne va pas s’arranger si les salariés présents menacent de partir en arrêt maladie. Il faut absolument qu’on fasse le point au plus vite pour trouver des solutions le temps d’un retour à la normale”.
Ces témoignages illustrent des situations de plus en plus fréquentes, comme le montrent plusieurs enquêtes.
Quelques chiffres sur la surcharge de travail
Selon la 14ème édition du Baromètre Santé au travail de Malakoff Humanis par exemple, la moitié des salariés interrogés (45 % des hommes et 55 % des femmes) déclare avoir souffert de troubles psychologiques au cours des 12 derniers mois :
- troubles de l’humeur/dépression (30%)
- troubles anxieux (37%)
- troubles liés au traumatisme et au stress (21%)
- épuisement professionnel/burn-out (25%).
Sur les causes, 1/3 des salariés concernés (femmes et hommes) attribue ce mauvais état de santé psychologique à des origines professionnelles, 1/3 à des origines personnelles et 1/3 aux deux.
S’agissant des raisons professionnelles, l’intensité et le temps de travail sont les causes premières (citées par 65% des femmes et 59% des hommes, avec 7 points de + par rapport à 2022).
La problématique impacte collaborateurs comme managers puisque d’après l’étude de l’APEC de septembre 2023, le stress et l’épuisement touchent plus de 50 % des cadres, et surtout les femmes plus souvent stressées et épuisées que leurs collègues masculins.
Plus de la moitié d’entre eux (59% des femmes et 49% des hommes) ont le sentiment d’avoir souvent ou occasionnellement une charge de travail insurmontable et plus d’un tiers des cadres (39%) considèrent que la charge de travail et les délais à respecter sont d’importantes sources de stress.
Qualifier et gérer une surcharge de travail est indispensable et il faut d’abord savoir repérer les symptômes pour prévenir et limiter les risques.
Détecter les symptômes et les risques
Côté collaborateur
Les symptômes peuvent être multiples :
- Physiquement, l’allongement du temps de travail peut engendrer des troubles musculaires ou des maux de dos selon les tâches, mais aussi, selon les individus, des éruptions cutanées dues au stress (poussées d’eczéma, de psoriasis, d’acné, de plaques…), de la fatigue par manque de sommeil ou sommeil de mauvaise qualité (ressassements, insomnies…).
- Psychologiquement, la surcharge mentale se manifeste souvent par une anxiété persistante, une tristesse accrue, des troubles de la motivation et de l’attention. Ainsi, les troubles de la concentration, de l’attention et de la mémoire, les sautes d’humeur, la sensation de ne pas pouvoir y arriver sont autant d’alertes. On peut ressentir du stress avant d’arriver au travail et durant la journée, se mettre à douter de ses capacités et de sa place dans l’entreprise. On peut ressentir l’envie de pleurer face à une situation au travail, voire avoir des idées encore plus noires.
- Socialement, les symptômes peuvent se manifester par un repli sur soi, un isolement, de l’irritabilité envers les autres (sphère professionnelle ou personnelle) ou au contraire de l’apathie ainsi que le développement de comportements addictifs.
Les risques vont du stress, à l’épuisement professionnel, voire au burn-out et à la dépression.
Côté manager et RH
Les symptômes repérables de la souffrance du collaborateur se voient le plus souvent à travers son comportement : la baisse de motivation, le désintérêt pour le travail, les variations d’humeur, les journées de présence à rallonge, les mails envoyés le week-end ou le soir sont des alertes qu’il ne faut pas négliger s’ils deviennent une norme.
Les risques si l’on n’y prête pas attention couvent différentes thématiques :
- Le manque de concentration et la fatigue peuvent jouer sur la sécurité et augmenter les accidents de travail. En cas d’accident lié à une charge de travail trop élevée, l’employeur pourrait être mis en cause pour non-respect de l’obligation de sécurité.
- L’irritabilité et les sautes d’humeur nuisent à la dynamique et l’ambiance de l’équipe.
- Outre la souffrance de l’individu concerné, elle impacte aussi la productivité et la qualité de ce qui est réalisé. La baisse de motivation joue plus globalement sur les performances de l’entreprise avec un développement de l’absentéisme et du turn-over, un impact potentiel sur la réputation et l’attractivité de l’entreprise.
Une fois détectée, il convient alors d’analyser les causes de la surcharge de travail pour y faire face. Cela parait simple en théorie, mais dans nombre de cas, le salarié est tellement englué dans la problématique qu’il lui est difficile de prendre du recul et donc du temps pour réaliser cette étape importante.
Il est essentiel pour tous de ne pas être dans le déni et laisser la situation s’éterniser. Car contrairement aux idées reçues, travailler avec acharnement n’est pas forcément la clé du succès, bien au contraire. Les risques sur la santé physique et mentale sont là et faire des journées à rallonge masque bien souvent les causes du problème.
Analyser les causes de la surcharge de travail pour mieux alerter
Identifier les sources de surcharge
Il convient de toujours commencer par l’analyse des causes. Les questions à se poser sont les suivantes :
- La surcharge est-elle structurelle ou conjoncturelle ?
- Les tâches et les missions sont-elles correctement réparties entre les membres de l’équipe ?
- Y a-t-il eu des imprévus qui ont agi durablement sur le volume de travail (ex : problème d’approvisionnement, grosse urgence client, absence d’un membre de l’équipe etc.) ?
- La surcharge vient-elle d’une cause externe ou interne (ex : manque de compétence ou qualification) ?
Se baser sur des données chiffrées
Il est important également de se baser sur des données chiffrées. On pourra ainsi se référer à certaines données factuelles, comme le temps de travail, les heures supplémentaires ou les objectifs quantitatifs.
On peut ainsi lister le nombre de missions, de dossiers et de projets qui incombent à la personne. Il peut être également utile pour affiner l’étude de compléter des feuilles de temps, sur lesquelles sera mentionné le temps de travail dédié à chaque activité.
Cela permettra de voir plus objectivement s’il s’agit d’une charge de travail trop importante ou s’il s’agit d’un problème d’organisation.
Une fois la problématique caractérisée, il faut savoir alerter.
Alerter sur l’existence de la surcharge de travail
Quand on est collaborateur, il est important de solliciter son N+1 et de savoir lui demander de l’aide. Il sera d’autant plus apte à vous aider que vous aurez pris du recul en préparant votre discours sans laisser la situation s’éterniser.
Si des collègues y sont également confrontés, vous pouvez parler ensemble, en restant dans une démarche constructive.
Si le problème est clairement expliqué, personne ne pourra vous reprocher une quelconque faiblesse. On constatera plutôt votre investissement et votre attachement à accomplir vos missions.
Il est donc important d’exposer les faits de manière positive en montrant que vous avez besoin de l’aide de votre responsable pour mener à bien vos missions. N’hésitez pas à partager avec lui vos idées, pistes de solutions et lui demander ce qu’il préconise.
Et rappelez-vous que votre hiérarchie a envie que vous réussissiez ; c’est son rôle et son intérêt d’aider les membres de son équipe à atteindre leurs objectifs.
Quand on est manager ou RH, il est important d’être à l’écoute et accessible pour recueillir la parole du collaborateur et pouvoir agir en conséquence. Le pire est que la situation ne soit pas connue et que ce dernier s’épuise, s’enferme dans sa souffrance. Il ne faut donc pas hésiter à travailler de concert pour trouver des solutions, quitte à provoquer soi-même la discussion si le collaborateur n’alerte pas de lui-même.
Gérer la situation de surcharge de travail
Une fois celle-ci identifiée, différentes attitudes, méthodes et outils aideront à avancer.
Prioriser les tâches
Pour bien organiser sa journée, il est préférable de commencer par les missions les plus importantes. En cas d’imprévus pendant la journée, seules les tâches secondaires auront été laissées de côté. Cela limitera le stress généré par le travail non réalisé.
En ce sens, une to-do list divisée en 3 colonnes, avec les tâches urgentes, celles importantes et celles secondaires, aidera à structurer un emploi du temps.
Nul n’est irremplaçable : n’hésitez pas à identifier les activités que vous pouvez déléguer et auprès de qui.
La matrice d’Eisenhower est également une aide précieuse pour prioriser. En les classant selon les critères de l’urgence et de l’importance, vous saurez identifier les tâches critiques.
- Le 1er quadrant est pour les échéances les plus urgentes et les plus importantes : à faire dès maintenant.
- Le 2ème quadrant est destiné à l’élaboration de stratégies et au développement à long terme des tâches qui ne sont pas urgentes, mais qui restent importantes : à planifier.
- Le 3ème quadrant est réservé aux tâches urgentes mais non importantes, qui nécessitent une attention particulière mais qui doivent être effectuées immédiatement : à déléguer si possible (ou à supprimer dans certains cas puisque non importantes).
- Le dernier quadrant est destiné aux missions qui apportent peu de valeur, voire aucune : à abandonner.
Bien évidemment, cette matrice est à mettre à jour régulièrement.
Détailler les projets en petits objectifs
Quand un dossier ou projet paraît insurmontable, le découper en morceaux et lui affecter des échéances aide à le réaliser. Ainsi, décomposer les tâches en petits objectifs les rend atteignables à court terme et plus facilement accomplies au quotidien.
Et une fois l’échéance passée, se consacrer au dossier suivant, même si tout n’est pas parfaitement exécuté. C’est difficile mais cela permet d’avancer à nouveau.
Autres conseils
Pour le collaborateur :
- Apprenez à dire “non” mais pour qu’il soit acceptable, justifiez-le et formulez-le de façon positive « ce qui est possible, c’est… ».
- Intégrez des pauses régulières dans la journée : contrairement à ce que vous pensez, vous n’êtes pas à 5 minutes près. Votre corps et votre cerveau ont besoin de faire un break et il sera d’autant plus bénéfique que vous le partagerez avec votre entourage…
- Laissez-vous si possible des moments-tampons pour éviter la sensation de surcharge.
- Et si vous devez aller jusqu’au litige, documentez la surcharge de travail. Seules des preuves concrètes pourront réellement vous aider à caractériser la situation que vous traversez.
En ce qui concerne le manager, votre rôle est d’aider le collaborateur à :
- Prendre du recul sur son quotidien
- Définir ses priorités, quitte à revoir ses objectifs ou les deadlines si c’est justifié
- Surmonter les obstacles qu’il rencontre (outils, autres services, moyens etc.)
Mais aussi de vous assurer que vous ne rajoutez pas de contraintes contraires aux bonnes pratiques en veillant par exemple au droit à la déconnexion et de garder un canal de communication ouvert.
En ce qui concerne les RH, votre rôle en la matière est :
- D’apporter un support au collaborateur et au manager pour analyser et gérer la situation (ex : alerter le manager si besoin, organiser un point, vérifier que les objectifs fixés sont cohérents par rapport aux autres collaborateurs et services, s’assurer que les entretiens annuels ont été correctement effectués etc.)
- Lancer si besoin une étude plus poussée pour évaluer les risques liés à la charge de travail dans l’entreprise (problème d’organisation, d’effectifs, de management etc.) et suivre le plan d’action décidé.
- De vous assurer que le salarié est bien en adéquation avec son poste de travail et faire exécuter si besoin un plan de formation adapté (ex : formation à la gestion du temps et du stress, formations techniques etc.)
- Et plus généralement, de vous assurer que la culture d’entreprise et la sensibilisation des managers concourent à être vigilants sur ces problématiques.
En conclusion
Identifier et gérer une surcharge de travail qui s’installe dans la durée et qui met en péril l’intégrité physique et psychique d’un collaborateur est indispensable mais n’est pas tâche facile tant les paramètres sont nombreux et changeants d’un individu, d’une organisation à l’autre.
Les personnes les plus investies dans leur travail sont aussi les plus à risque. Alors, en apprenant à détecter les symptômes, en étant conscients des risques et en sachant où se situent les marges de manœuvre et les responsabilités de chacun, collaborateur, manager et ressources humaines peuvent gérer cette situation et la gérer avec méthode et humanité… pour le mieux-être de tous.
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