Le stress structure les groupes et détermine les rôles de chacun

Dans le domaine de la psychologie expérimentale, l’expérience des rats plongeurs menée par Didier Desor a captivé l’attention en mettant en lumière une hypothèse incroyable : le stress serait à l’origine des structurations sociales.

Le stress structure les groupes et détermine les rôles de chacun

Dans le domaine de la psychologie expérimentale, l’expérience des rats plongeurs menée par Didier Desor a captivé l’attention en mettant en lumière une hypothèse incroyable : le stress serait à l’origine des structurations sociales.

Cette expérience audacieuse offre des parallèles intéressants avec les comportements observés dans le monde professionnel. En effet, de nombreuses similitudes peuvent être établies entre les réactions des rats plongeurs et les dynamiques humaines en entreprise.

Mais au fait, vous souvenez-vous de l’expérience ?

Groupe de collaborateurs en proie au stress

L’expérience des rats plongeurs : protocole, déroulé et conclusions

Pour mémoire, en voici le protocole : enfermés dans une cage, 6 rats affamés doivent emprunter un couloir débouchant sur un unique distributeur de nourriture. Immédiatement, chacun s’y rend pour récupérer sa croquette.

Puis le tunnel est immergé, les obligeant alors à nager aller/retour en apnée pour ramener la croquette au point de départ et la déguster. Problème : le rat déteste l’eau !

Incroyable constatation : des rôles apparaissent clairement.

3 rats « exploiteurs » jettent à l’eau les 3 autres bêtes pour les attaquer et les voler à leur retour. Un seul, « l’autonome », défend son trésor. Les 2 autres, les « ravitailleurs », se soumettent totalement, ne se nourrissant qu’une fois les « profiteurs » repus. Cette structure sociale exploiteurs/profiteurs/autonomes reste systématiquement identique ; même quand on enferme 6 exploiteurs ensemble !

L’expérience est menée avec 200 rats ensemble : après une nuit de combats sanglants et 3 rats morts dépecés, les scientifiques observent qu’un noyau d’exploiteurs a hiérarchisé un groupe de lieutenants répercutant sur le reste du groupe leur autorité… pour assurer leur propre ravitaillement en croquettes !

L’équipe étudie alors les cerveaux des rats. Surprise : les exploiteurs s’avèrent être les rats les plus stressés du groupe !

Et un comportement observé encore plus surprenant : les exploiteurs se laissent carrément mourir lorsqu’on retire les ravitailleurs… Mais quand l’équipe injecte alors des anxiolytiques aux rats pendant la phase d’adaptation à l’eau, tous plongent, et aucune structure sociale ne s’instaure… Probablement qu’apaisés face à ce qu’ils percevaient comme une insécurité, ces rats retrouvent un instinct grégaire sans violence à l’égard de ses semblables.

Victime d’un stress démesuré, la réponse du rat exploiteur passe donc par l’agressivité, la violence physique, le harcèlement… (lire aussi notre article sur la soumission à l’autorité avec l’incroyable expérience de Milgram)

Mais, peut-on faire le parallèle avec le monde de l’entreprise ? Tout employeur pourrait s’interroger. Un salarié agressif, des comportements irrespectueux, une qualité de vie dégradée en équipe, des situations de harcèlement… peuvent-ils être les symptômes d’une structuration sociale façonnée par des contraintes de groupe vécues comme dangereuses, stressantes ?

L’expérience des rats plongeurs donne envie de dire « oui », mais peut être la réalité est-elle plus nuancée.

Infographie expliquant l'expérience des rats plongeurs de Didier Desor

Des stratégies d’adaptation également en entreprise

En effet, tout comme les rats confrontés à l’eau qu’ils redoutent, les individus en milieu professionnel peuvent être soumis à des situations stressantes. Les deadlines serrées, la tyrannie de l’urgence, les objectifs ambitieux, les pressions hiérarchiques sont autant de facteurs contraignants qui peuvent influencer les comportements au sein d’une équipe. De la même manière que les rats ont dû s’adapter à l’eau, les salariés doivent trouver des mécanismes pour s’adapter.

Observer comment les rats réorganisent leur structure sociale dans un nouvel environnement peut fournir des idées, des hypothèses, sur la façon dont les équipes se réorganisent dans ces situations de coercition et comment les hiérarchies, les alliances, les conflits vont influencer la dynamique de groupe et les performances collectives.

Au niveau individuel, tout comme les rats adoptent des comportements d’évitement ou d’exploration courageuse face à un environnement redouté, chaque salarié peut réagir de manière similaire.

Cela peut être en adoptant des stratégies d’autoritarisme, de domination, d’agressivité, de fuite, de résistance, dont la portée est évidemment amplifiée si l’on a une responsabilité hiérarchique !

Cela peut être aussi en développant une stratégie d’adaptation pour traiter la contrainte : rester maître de ses émotions face à la perception que l’on a de la situation, mobiliser ses compétences d’une autre manière pour déjouer la difficulté (le rat bloque sa respiration pour nager en apnée par exemple…).

Cela peut aussi être en s’appuyant sur l’entraide, la main tendue collective : faire front en équipe à une contrainte en identifiant d’abord les freins et résistances de chacun, puis en élaborant ensemble un plan d’actions qui ait du sens pour tous, qui soit équitable et respectueux de chacun.

Identifier les manifestations du stress

Car, rappelons-le : le stress est une réaction complexe du corps et de l’esprit face à des situations perçues comme menaçantes ou contraignantes, difficiles.

À l’origine, le stress un mécanisme sain, primitif, de survie qui permet aux êtres humains (et aux autres animaux) de réagir rapidement à des menaces immédiates : attaque d’un prédateur, dangers extérieurs menaces de tout ordre. Lorsque que nous sommes confrontés à une situation perçue comme stressante, notre corps déclenche une réponse physiologique connue sous le nom de « réponse de combat ou de fuite ». Un cocktail chimique explosif (cortisol, adrénaline…) se diffuse automatiquement dans nos corps pour nous permettre de « bondir » au plus vite.

Alors évidemment, si en entreprise, les manifestations du stress sont moins sanglantes, elles peuvent néanmoins resurgir sous forme de « petites violences ordinaires » ou de violences plus flagrantes :

  • Avec des incivilités à répétition (ne pas respecter un lieu commun de vie, ostensiblement oublier les règles de savoir vivre, de politesse…). Lire également notre article incivilités au travail : question de cadre et de limites
  • Avec des comportements inappropriés (s’attribuer le succès d’une mission au détriment de l’équipe, devenir piquant/agressif dans le ton), propos déplacés (porter des jugements sur les personnes plutôt que sur leur contribution au travail, faire des remarques désagréables en public)
  • Avec, phénomène plus sournois parfois indétectable a priori, une dégradation de son état de santé. En effet, un stress chronique ou sur du long terme peut déclencher maladies cardiovasculaires, dépression, anxiété, insomnie, eczéma, troubles de l’appétit etc….

Alors, reconnaître ces signaux chez l’autre, notamment dans les comportements agressifs, de domination, d’autoritarisme permet de se poser une première question : quel est le danger qu’il perçoit et qui le pousse à endosser ce rôle ?

Décaler notre regard sur ce qui nous agresse

Que retenir des rats plongeurs ?

Certes, se poser la question (et avoir une réponse) ne résoudra pas immédiatement le problème. Mais ce recul permet de remettre une distance nécessaire à l’esprit, pour échafauder des actions apaisantes possibles, avec 3 postures :

  1. Voir dans notre interlocuteur non plus celui qui nous attaque mais celui qui se défend. Il n’exprime pas son sentiment de supériorité mais peut-être au contraire sa crainte, sa peur.
  2. Identifier son besoin de réassurance. Veut-il que son image soit préservée ? Garder le contrôle ? Montrer qu’il a gagné quelque chose ?
  3. Montrer que son besoin est entendu et peut être pris en compte. Comment ? En provoquant l’échange sur notre perception de la situation, en questionnant pour comprendre ce qui est l’élément bloquant, pour lever des freins, pour identifier un « premier petit mieux » possible qui déclencherait un premier pas vers une autre façon de faire. (Lire aussi notre article sur l’assertivité pour s’exprimer avec douceur et fermeté en toute situation).

Employeur : comment anticiper et prévenir les situations pour aider les salariés à dépasser le stress des situations coercitives ?

4 pistes pour anticiper et prévenir les situations de stress

La question est bien sûr vaste, avec autant de réponses et conseils que de nuances à apporter, selon les contextes de travail.

Dans les paramètres à prendre en compte pour imaginer quoi mettre en place, on pourrait évoquer par exemple l’organisation de l’entreprise (permet-elle de se sentir en sécurité personnelle ?), le secteur d’activité (favorise-t-il un climat de travail serein ?), les instances représentatives du personnel du type CSE, DP (est-ce que je me sens soutenu⋅e en cas de problème ?…). Cela mériterait une analyse et un article complet !

Nous choisissons ici d’évoquer des pistes liées aux renforcement des interactions entre individus.

  • Démocratiser la pratique de la communication non violente
  • Proposer des supports de médiation et résolution de conflits
  • Afficher des politiques claires contre le harcèlement et la violence
  • Promouvoir le réflexe du feedback constructif et continu

Démocratiser la pratique de la communication non violente

Les entreprises doivent encourager la formation à la communication non violente (CNV) pour tous les membres de l’entreprise. La CNV aide les collaborateurs à exprimer ouvertement et calmement leurs besoins et sentiments sans jugement ni agression, favorisant ainsi l’écoute et la compréhension mutuelles.

Proposer des supports de médiation et résolution de conflits

En effet, disposer de médiateurs formés ou de conseillers en résolution de conflits au sein de l’entreprise peut s’avérer être une véritable soupape ! Ces professionnels peuvent intervenir lors des premiers signes de tension, offrant un espace sûr pour discuter des problèmes avant qu’ils n’escaladent.

Afficher des politiques claires contre le harcèlement et la violence

Une politique d’entreprise clairement définie et publiquement défendue concernant le harcèlement et la violence pose d’emblée un cadre strict et des règles de vie en commun. « Publiquement défendue » implique qu’elle est portée par la direction générale, et toutes les instances de l’entreprises (autres directions, et aussi instances telles que le CSE (ex-CHSCT), DP, syndicats etc…). Cette politique :

  • définit ce que l’entreprise considère comme un comportement inacceptable
  • indique les conséquences de tels actes, notamment les sanctions encourues
  • formule quelles sont les voies de recours disponibles pour les victimes.

Promouvoir le réflexe du feedback constructif et continu

Encourager un environnement où le feedback est donné de manière constructive et où il est reçu comme une opportunité de développement personnel peut aider à réduire les réactions défensives et agressives. Les sessions de feedback régulières entre les managers et leurs équipes, ainsi que les revues de performance, doivent être conduites avec empathie et clarté.

Si le feedback est une pratique professionnelle que de nombreuses entreprises défendent et dans laquelle ils investissent temps et budget pour y former les salariés, il reste encore beaucoup de chemin à faire pour qu’elle devienne un « geste naturel ». Des barrières psychologiques viennent en effet freiner cet élan. Nous vous invitons à (re)regarder notre webinaire comment dépasser les freins au feedback.

En intégrant ces quelques pratiques, les entreprises :

  • anticipent les réactions de crainte, de peur face à des situations perçues comme insécurisantes
  • aident à prévenir les comportements agressifs et les conflits, mais aussi les découragements, les envies d’abandon, de démission…
  • promeuvent également une culture d’entreprise « positive » où respect, coopération, qualité de vie sont des valeurs socles et partagées.

Ces actions contribuent à construire un climat idéal de travail, que le professeur Amy Edmondson, de la Harvard Business School, nomme sécurité psychologique au travail. Elle la définit comme un climat d’équipe caractérisé par la confiance interpersonnelle et le respect mutuel dans lequel les gens sont à l’aise d’être eux-mêmes : capacité d’être soi en tout temps, d’être en mesure d’exposer sa vulnérabilité aux autres sans craindre le jugement ou la réprimande.

« Si vos employés sont réticents à partager leurs commentaires, leurs critiques ou à vous dire ce qu’ils ressentent, c’est un signal d’alarme qui met en évidence les faiblesses de la culture de votre organisation » rappelle-t-elle. Son livre The Fearless Organization propose des exemples (et contre-exemples) et des pistes pour instaurer, maintenir un climat de sécurité psychologique. À découvrir sans modération !

Pour aller plus loin

 

▸ Découvrez notre formation pour Faire face à la pression et gérer son stress (blended learning pour tous collaborateurs en 11H)

 

▸ Découvrez également notre formation Feedback pour les managers (blended learning en 10H)

 

▸ (Re)regardez notre webinaire sur les freins au feedback et les pistes pour les dépasser

 

▸ Également disponibles dans notre catalogue : les modules digitaux CNV et Intelligence émotionnelle ! Contactez un expert du Gymnase pour avoir plus d’infos

Les commentaires sont fermés.

Top